Le TDAH, la mémoire et la dysrégulation émotionnelle
Avoir un TDAH, pour quelques un·es d'entre nous, c'est parfois souffrir de petits problèmes de mémoire à court terme.
C'est oublier où se trouve le téléphone qu'on vient de poser il y a une minute.
Oublier qu'on a mis le linge au sale et le laisser traîner dans la machine pendant quatre jours.
Oublier ce qu'on a fait une heure plus tôt.
Oublier pourquoi on est allé·es dans telle pièce.
Oublier des instructions données à l'oral quelque temps plus tôt. Et ce, tous les jours.
Par contre, grâce à quelques témoignages de personnes neuroatypiques, je remarque que, pour la mémoire à long terme, nous sommes quelques un·es à être assez surprenant·es. C'est un petit point en commun que l'on a avec certaines personnes avec TSA. S'il n'y a aucune preuve scientifique que la mémoire à long terme, voire l'hypermnésie, soient systématiques chez toutes les personnes neuroatypiques, je remarque que nous sommes quelques un·es à en avoir une très bonne, même si ce n’est pas le cas pour toutes les personnes neuroatypiques.
Dans les choses insignifiantes dont je me souviens et qui remontent, il y a eu ce cours d’EPS en 4ᵉ où j’ai fait une mauvaise passe au rugby. Ma camarade me le signale et, aussitôt, peu fière de moi, je m’insulte à voix haute :
"- Mais quelle conne !"
Ma camarade se retourne et me foudroie du regard. Elle pensait que je m'adressais à elle.
Vingt-quatre ans plus tard, je rougis encore de cette interaction comme
si elle avait eu lieu la veille.
Je me rappelle aussi des paroles qu'on
m'a adressées dans des moments extrêmement banals du quotidien alors
qu’ils avaient eu lieu il y a vingt-cinq, trente, voire trente-cinq ans.
Quand je me suis fait opérer de l’appendicite en 1994, alors que
j'avais 7 ans, je me souviens avoir croisé, depuis ma chambre, le regard
d’une femme qui passait dans le couloir. Elle m’avait fait un grand
sourire et j’étais choquée de sa ressemblance frappante avec ma mère. Je
me souviens exactement du mois et de l’année où j’ai été opérée de
l’appendicite, de mon strabisme, du moment où j’ai eu ma première bande
dessinée de Tintin, de quand j’ai quitté Lyon pour habiter à Toulouse,
ou même de ce que je mangeais un jour, pas marquant pour autant, quand
j’avais 12 ans. Je me souviens du regard du chirurgien après mon
opération du strabisme. J'ai entrouvert les yeux
une fraction de seconde, il me faisait un immense sourire. C’était en
1992.
Pour les souvenirs mineurs gênants qui se sont déroulés
il y a quelques années, je remarque que la honte peut me faire encore
rougir aujourd’hui. Je ne sais pas si cela a à voir avec l’anxiété
généralisée ou une certaine dysphorie sensible au rejet, mais j’ai
remarqué que je n’étais pas seule dans ce cas de figure. Un ami à moi,
qui a un fort soupçon de TDAH, peut ressentir beaucoup de colère et
d’anxiété à la mémoire d’un souvenir précis, vieux de plusieurs
décennies.
Je rappelle que la dysphorie sensible au rejet n’est pas officiellement
un diagnostic médical reconnu, mais ce terme est fréquemment utilisé par
des personnes concernées par le TDAH pour décrire une hypersensibilité
émotionnelle à la critique ou au sentiment de rejet.
Avec un TDAH, souffrir d’une dysrégulation émotionnelle n’est pas rare.
La dysrégulation émotionnelle, c’est ce qu’on appelle parfois
l’hypersensibilité.
Vous savez, ce mot qui est complètement galvaudé
dans le grand public, et qui ne reflète absolument pas la réalité de la
dysrégulation émotionnelle qu’une personne avec TDAH subit...
Je me
demande si ce n’est pas justement cette dysrégulation émotionnelle qui
est à l’origine de cette vivacité des émotions liées à des souvenirs
lointains que tout le monde, sauf nous, a oubliés.
Puisque la mode est de glamouriser le TDAH et d’énumérer ses multiples
« super-pouvoirs », on pourrait dire qu’avoir une très bonne mémoire
fait partie de ces pouvoirs, un peu comme l’esprit créatif qui distingue
certain·es d’entre nous, ou encore cette hypersensibilité singulière.
Être envahi·e par nos propres excès, notre propre démesure, n’a rien
d’un super-pouvoir. C’est un super-fardeau. Mais c’est sans doute plus
vendeur de présenter les choses ainsi, plutôt que de s’attarder sur la
face cachée de l’iceberg.
Peut-être qu'on préfère se conforter dans des idées toutes faites
plutôt que d’affronter la complexité et les vérités parfois
dérangeantes des troubles du neurodéveloppement.
Merci de partager ce texte si touchant et si juste. Cette façon dont tu décris le TDAH avec tant d'honnêteté, loin des clichés du "super-pouvoir", me bouleverse profondément.
RépondreSupprimerCette mémoire à long terme qui grave au fer rouge les moments de honte ordinaires, cette capacité à revivre avec une intensité intacte des interactions banales d'il y a vingt ans... c'est d'une justesse criante. Tu décris magnifiquement ce paradoxe cruel : oublier où on a posé son téléphone mais porter en soi, comme des cicatrices invisibles, chaque maladresse sociale, chaque regard mal interprété.
Ça me ramène aux années difficiles avec mon fils. Même s'il n'avait pas de TDAH, sa souffrance m'a ouvert les yeux sur ces mondes intérieurs si complexes, ces batailles invisibles que certains mènent chaque jour. C'est en cherchant à comprendre sa détresse, en explorant tous les possibles pour l'aider, que j'ai découvert l'univers du TDAH. Et paradoxalement, c'est sa souffrance qui m'a appris à voir au-delà des apparences, à reconnaître ces "super-fardeaux" que tu décris si bien.
Cette dysrégulation émotionnelle dont tu parles, cette hypersensibilité qui n'a rien de romantique, c'est tellement loin de l'image édulcorée qu'on en donne parfois. C'est vivre avec une intensité qui peut être dévorante, c'est porter le poids de souvenirs que les autres ont depuis longtemps oubliés.
Merci pour ces mots vrais, sans filtre, qui refusent le vernis du "développement personnel" pour dire la réalité brute de ce que c'est que vivre avec un cerveau différent.